Nice Matin | Article de Ludovic Laurenti
« Cette expertise apporte la confirmation scientifique (...) d'une importante pollution historique de l'ensemble du site des Semboules, y compris et jusque dans l'intérieur des habitations les plus proches (qui ont été implantées après la construction de l'incinérateur), à des niveaux de concentration comparables à ceux des zones industrielles les plus polluées d'Europe. » Bernard Tailliez, fondateur d'Analytika (laboratoire d'investigations) qualifie les résultats de son étude sur la présence de dioxine et de furanes dans le quartier « d'alarmants ».
Avant toute chose, il faut cependant préciser que la plupart des études montrent que l'exposition humaine s'effectue à près de 95 % par l'alimentation (voir par ailleurs). D'ailleurs le Cadis, commanditaire de cette expertise « ne veut surtout pas paniquer la population » mais le président Manuel Babault estime indispensable d'informer les gens. « D'autant qu'ils ont financièrement participé à cette étude grâce à une souscription pour compléter la subvention de la Région. »
Pollutions passées
Manuel Babault est conscient des limites de cette étude. En revanche, il estime que les résultats sont suffisamment inquiétants pour les compléter par d'autres analyses. « Nous demandons aux
pouvoirs publics de réaliser une étude digne de ce nom. Nous avons saisi le préfet pour qu'il réunisse la CLIS (Commission locale d'information et de surveillance) ». Une demande
relayée par écrit par l'adjoint délégué à l'environnement et la santé.
Si l'incinérateur ne semble plus constituer une menace pour la santé des riverains, difficile de ne pas évoquer l'hypothèse que les 39 années de fonctionnement et notamment les vingt premières
pourraient avoir laissé des traces. Personne ne veut incriminer l'incinérateur mais c'est bien au sein d'une future réunion de la CLIS, prévue par la loi dite « Loi déchets » que sera évoqué ce
sujet.
Préconisations
Le laboratoire préconise à court terme deux mesures : « L'ensemble des circuits et éléments de VMC (ventilation mécanique contrôlée) des appartements dans les immeubles les plus proches de l'incinérateur devra être décontaminé et l'accès à la zone du collecteur d'eau pluviale dont proviennent les deux échantillons de sol les plus contaminés devra être restreint, en particulier à l'égard des enfants. »
À ce stade, le Cadis se demande s'il est bien opportun de réaliser le parc de loisirs et de sport prévu par la municipalité. « Nous sommes bien embêtés car ce projet est très bien, poursuit
Manuel Babault. Mais peut-on faire comme si l'on ne savait pas ? ».
En 2005, une étude environnementale avait été réalisée à la demande du Sidom (Syndicat mixte de traitement des ordures ménagères) qui réunit les 20 communes utilisatrices de l'incinérateur. Dans cette étude, une analyse des sols avait été effectuée. « Dans la surveillance de l'environnement de l'usine, le sol est un élément important qui peut garder en mémoire les pollutions passées, d'où son importance dans la surveillance des retombées de l'usine » peut-on lire sur le site internet du Sidom. Mais ces analyses n'avaient pas recherché la dioxine dans les sols, seulement les métaux lourds. La dioxine avait fait l'objet d'une mesure dans l'air, concluant à « des risques acceptables au regard des références des nombreux organismes internationaux. »
Études sur l'impact sanitaire
L'Institut de veille sanitaire a publié en 2008 les résultats d'une étude épidémiologique qui fait apparaître une hausse, au sens statistique, de la fréquence de certains cancers pour les
personnes ayant subi une forte exposition aux fumées d'incinérateurs dans les années 70 et 80 par rapport à la fréquence observée parmi une population très peu exposée : jusqu'à 22 %
supplémentaires pour certains cancers du sang chez l'homme, 9 % pour les cancers du sein chez la femme.
Source : Ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer.
Résultats : les sols ne mentent pas
Deux échantillons de terre, un échantillon de poussière prélevé derrière les bouches de ventilation (VMC) de deux appartements du quartier, deux aiguilles de pin ramassées à proximité et un
échantillon des lichens récupérés sur le toit d'une villa ont été analysés par le laboratoire Analytika. Les résultats sont exprimés en nanogramme par kilogrammes de matière sèche selon une norme
internationale. Les échantillons A, B et C (sols et poussières de gaines de ventilation) permettent d'avoir une idée de la pollution historique d'un site.
Les C, D et F concernant les aiguilles de pins et les lichens mettent davantage en lumière une éventuelle pollution récente. Les échantillons A et B dépassent les 500 ng/kg et l'échantillon C
avoisine les 200 ng/kg. Les trois autres restent en deçà des 18,45 ng/kg.
Pour comparer
Selon l'Institut de veille sanitaire (INVS), « en milieu rural, sans source de dioxines identifiée, le taux de dioxines dans les sols est environ d'1 ng/kg de matières sèches, en milieu
urbain, il peut atteindre 10 ng/kg de matières sèches, en zone industrielle il est plus élevé, de l'ordre de la centaine de ng/kg de matières sèches. »
Les dioxines en questions
D'où viennent les dioxines ?
Elles résultent principalement de l'activité humaine. Actuellement l'incinération des déchets et la métallurgie sont à l'origine de 50 % des émissions en France.
Comment peut-on être contaminé ?
Par voie digestive : ingestion de sol et poussières en suspension, aliments, eau.
Par voie respiratoire : inhalation de poussières ou de gaz.
Par voie cutanée : contact de la peau avec du sol ou de la poussière.
La plupart des études montrent que l'exposition humaine s'effectue à près de 95 % par l'alimentation, principalement d'origine animale.
Les enfants peuvent-ils jouer dans le jardin ?
Dans l'état actuel des connaissances, une exposition aux dioxines des enfants par voie cutanée, respiratoire ou par ingestion de poussières du sol à proximité d'un incinérateur ne contribue pas
substantiellement à une augmentation des risques sanitaires.
Y a-t-il des restrictions d'usage dans la zone exposée aux retombées (construction d'habitats, crèche, école, terrain de sport) ?
À ce jour, il n'existe pas en France de restriction d'usage. Cependant, en Allemagne pour des valeurs entre 100 et 1000 ng/kg (ce qui est le cas ici), la décontamination du sol dans les aires de
jeux est recommandée.
Est-il possible de dépolluer les sols ?
Ce sont les 10 premiers centimètres de sol qui concentrent 95 % des dioxines. Il est donc possible de dépolluer en remplaçant cette couche superficielle.
Qu'est-ce qu'une étude d'évaluation des risques sanitaires ?
Elle doit permettre de connaître la contamination des milieux, l'historique de la pollution et donc le potentiel d'exposition cumulée et la population concernée.
Source : étude réalisée par l'institut de veille sanitaire et l'agence française de sécurité sanitaire des aliments à la demande du ministère de la
santé.
Questions à
André CICOLELLA
Conseiller scientifique à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris)
« Cela mérite une évaluation précise »
André Cicollela est spécialiste de l'évaluation des risques sanitaires. Il est aussi à l'origine de la création de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (AFSSE) avec André
Aschieri, par ailleurs maire de Mouans-Sartoux.
Les riverains des Semboules doivent-ils être inquiets ?
À première vue, la comparaison de ces résultats avec d'autres résultats européens semble pertinente.
Malgré tout, la contamination se fait essentiellement par l'alimentation.
Est-ce raisonnable de construire un parc de loisirs dans ce quartier sachant cela ?
Il faudrait une évaluation précise. Mais l'on sait que l'ingestion ne se fait pas seulement par l'alimentation mais aussi par la poussière et que les enfants sont plus exposés du fait de leur
mode de vie. Il faudrait chercher aussi d'autres types de dioxines.
C'est-à-dire ?
Là, on regarde les dioxines chlorées. Mais il y a aussi environ 200 types de dioxines chromées et plusieurs milliers de dioxines bromées qui sont du point de vue de la toxicité équivalentes.
On ne peut pas faire comme si l'on ne savait pas...
Propos recueillis par L.L.
Réactions : tout le monde perplexe
Patrick Dulbecco, adjoint délégué à l'environnement et à la santé
« J'ai demandé au préfet qu'il réunisse la commission locale d'information et de sécurité et j'attends la réponse. La dioxine peut avoir diverses origines dont les feux de forêts, les
barbecues, la circulation automobile. »
« Je ne sais pas quel pourcentage peut être attribué à l'incinérateur. La contamination se fait à 90 % par l'alimentation. Les gens devraient d'avantage s'inquiéter de l'origine du lait ou du
beurre qu'ils achètent, du tabagisme passif ou encore du bon réglage de leur chauffage au fioul. »
« En tant qu'élu, je suis partant pour faire de nouvelles analyses pour vérifier ces résultats. »
Josette Balden, présidente du Sidom, devenu Univalom
« Je suis surprise de découvrir ces analyses car cela coûte très cher. L'usine a été créée en 1969 et quelques années plus tard des permis ont été accordés pour la construction de ce
quartier. Depuis, l'incinérateur fait un peu peur. Je reste perplexe sur ces résultats car nous n'avons jamais constaté quelque chose d'aussi catastrophique.
J'ai immédiatement demandé une expertise de cette étude pour un spécialiste. Les valeurs trouvées me semblent impossibles. Cela dit, je suis prête à faire toutes les analyses nécessaires pour
en avoir confirmation. »
Gérard Piel, conseiller municipal d'opposition, habitant des Semboules
« Je ne suis pas un spécialiste pour me prononcer. Mais s'il faut faire de nouvelles analyses, que les responsables demandent des subventions à la Région, nous participerons de la même
façon. »
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