Le Dauphiné Libéré (Haute-Savoie)| Article d'Amélie Daviet

Pollution de l'Air | Quantité versus qualité. C’est là le cœur du débat. Ou en tout cas sur cet axe que souhaite se positionner Bernard Tailliez. Le scientifique et directeur du laboratoire d’analyses indépendant Analytika vient de publier une nouvelle série d’analyses de la qualité de l’air, à la demande du collectif de défense de l’environnement le Coll’air pur.
Enfin, qualité de l’air… Bernard Tailliez préfère quant à lui parler de « pollution de l’air ».
Les analyses effectuées au pied du viaduc des Egratz, dans la zone industrielle de Chedde (Passy) s’attachent à regarder ce que l’on trouve dans les poussières. Les fameuses PM que l’on suit avec attention depuis quelques années et qui sont notre indicateur maître en matière de pollution de l’air. La méthode habituelle de calcul de la pollution prend en compte les PM10, c’est à dire les particules fines dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres. « Ce sont celles qui grattent la gorge et sont retenues par les poils du nez et les sinus » , rappel Bernard Tailliez.
« 39+29+16 raisons de s’inquiéter »
Compter les PM permet donc d’avoir une idée de la quantité de poussières que nos poumons ingèrent. Mais pas de savoir ce que nos poumons ingèrent exactement. « La poussière est un support qui circule dans l’air et qui accumule les autres contaminants. Quand elle retombe, selon la loi inexorable de la gravité, elle contient tout ce qu’elle a pu rencontrer sur son passage », explique le scientifique.
Et que contient-elle dans la vallée de l’Arve ? Eh bien tout d’abord des métaux lourds, comme nous vous le rapportions déjà lors des premières analyses publiées dans notre édition Mont-Blanc du 14 janvier. Mais également « un cocktail invraisemblable de produits chimiques toxiques et polluants », continue Bernard Tailliez. Parmi lesquels des cancérigènes, des mutagènes, des reprotoxiques et des perturbateurs endocriniens (lire par ailleurs).
Trois méthodes d’analyse ont été utilisées pour tester un panel le plus large possible de contaminants et l’on en comptabilise au total 84, aux noms plus imprononçables les uns que les autres. « Cela fait 39+29+16 raisons de s’inquiéter », balance Bernard Tailliez. Et dans cette liste interminable de pentadecane, hexadecanoic et autres benzène, deux produits sortent du lot. « Ils sont référencés car ils ont été jugés suffisamment inquiétants par d’autres scientifiques pour justifier des recherches. »
Conclusion desdites recherches : ces contaminants ont des pouvoirs tumorigènes, précisément sur les poumons. Quant aux 82 autres contaminants… aucune recherche ne s’est jamais penchée sur leur cas. Leurs effets sur la santé sont donc inconnus à l’heure actuelle.
Quantité versus qualité donc. En effet, près de 80 % des poussières produites en hiver proviennent de la combustion du bois. Mais leur pouvoir néfaste est-il le même que celui des quelques pourcents de mutagènes et cancérigènes ? Toujours est-il que les contaminants qui ressortent des analyses effectuées par le laboratoire Analytika mettent en avant le trafic routier et les activités industrielles.
Petit lexique des grands mots qui font peur
Le problème avec la pollution c’est que les grands mots font très vite leur entrée. Ils font peur et n’évoquent pas grand chose. Nous parlons ici par exemple de mutagènes ou de reprotoxiques.
Mais que se cache-t-il réellement derrière ces termes ?
Les cancérigènes
Pour les cancérigènes, le terme parle plus ou moins de lui-même. Le cancer, tout le monde connaît (malheureusement). Un cancérigène est un facteur provoquant, aggravant ou sensibilisant l’apparition d’un cancer.
Les mutagènes
Passons désormais aux mutagènes. On trouve les mots “muter” et “gènes” et, en latin, le mot signifie littéralement “origine de changement”. C’est donc un agent qui change le génome (en général l'ADN), c’est-à-dire qu’il change notre code-barres génétique, ce qui fait que l’on est qui l’on est. On pensera alors aux Tortues Ninja qui, sous l’effet de l’action d’un mutagène, sont transformées en êtres humanoïdes. Pourtant, pas d’emballement, la réalité est loin du comic. Si l’on ne répertorie à l’heure actuelle aucun humanoïde connu, on sait en revanche que la mutation est a minima la première étape nécessaire vers la cancérisation. Bien loin des super pouvoirs donc.
Les reprotoxiques
Enfin, les reprotoxiques. Nous avons donc ici le terme “toxique”. Et puis “repro”, comme dans reproduction. On qualifie ainsi tout phénomène de toxicité pouvant altérer la fertilité de l’homme ou de la femme ou altérer le développement de l’enfant à naître.
Les CMR
Chez les initiés, c’est connu, les acronymes font loi. Ici, en l’occurrence, on parle de CMR. La barbarie de ces trois lettres désigne donc le cocktail non moins barbare de cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Difficile de prouver quoi que ce soit quant à leurs effets sur la santé. La législation avance donc à tout petits pas.
« La réglementation n’évolue pas aussi vite que la science », note ainsi Bernard Tailliez qui spécifie par ailleurs que « la science de la toxicologie n’en est qu’à ses balbutiements. »
Donc, pour résumer. Nous avons à l’heure actuelle connaissance de l’existence de contaminants (sans doute plusieurs centaines de milliers voire des millions). Une terminologie a été proposée : les CMR. Reste désormais à étudier ces contaminants, à en déterminer les effets sur la santé et à les placer dans les bonnes cases. Et puis, évidemment, à prendre les actions en conséquence.
La pollution semble avoir encore de beaux jours devant elle.
Écrire commentaire