Midi Libre | Article de Simon-Jacques Trigano

Entretien. Bernard Tailliez, fondateur du centre indépendant d’analyses Analytika missionné par le maire pour scruter la pollution de l’air ne croit pas en l’efficacité du système mis en place par l’État.
« Aucun sérieux. Ce n’est pas un laboratoire agréé et il n’est même pas expert auprès des tribunaux, c’est faux » Suite à ces propos tenus par le sous-préfet Philippe Nucho (rapportés dans l’édition Midi libre du 7 octobre 2017), lors de la dernière conférence de presse en mairie de Frontignan relative à la pollution de l’air sur la commune, le centre Analytika a souhaité apporter des « éclaircissements sur ce préoccupant dossier ». Entretien avec Bernard Tailliez, fondateur et directeur scientifique du centre.
Pourquoi n’avoir aucune accréditation officielle ?
Créé en 1991, Analytika n’est pas un laboratoire dépendant des services de l’État mais un centre d’investigation privé, spécialisé dans les questions de contaminations chimiques. Afin de conserver la plus totale indépendance vis-à-vis des autorités comme des acteurs industriels, le centre n’a donc jamais sollicité d’agrément ou d’accréditation. Nos activités se concentrent d’ailleurs précisément sur les domaines qui échappent aux contrôles des laboratoires accrédités, publics ou privés.
Le mode de surveillance de l’air actuel vous paraît-il inadapté ?
Le réseau Atmo (ici Atmo Occitanie NDLR), sur lequel s’appuient les autorités pour évaluer la pollution de l’air atmosphérique et communiquer auprès du grand public est une fédération d’associations régionales dont la gouvernance est présentée comme collégiale. Il s’agit en réalité d’une structure péri administrative dirigée par les services de l’État (DREAL et Préfecture) et cofinancée par une dotation ministérielle d’une part et les cotisations des industriels pollueurs adhérents au réseau Atmo d’autre part.
L’interprétation des rares études scientifiques conduites par cet organisme administratif est donc orientée par des considérations de développement économique et de protection de l’emploi, au détriment des enjeux de santé publique. Constituant de fait un lobby de défense des intérêts industriels au détriment de l’intérêt général, les conclusions orientées d’Atmo ne peuvent en aucun cas servir de base à une véritable politique locale de santé publique.
Le sous-préfet a annoncé de nouvelles études. Est-ce encourageant ?
Malheureusement non. Aucun signe encourageant ne peut provenir d’une administration qui est à la fois juge et partie selon moi. Comme en témoignent les nombreuses critiques formulées par le sous-préfet Philippe Nucho à l’encontre du Maire de Frontignan (lire Midi libre du 3 février 2017) qui ne souhaitait pas se contenter des résultats d’Atmo, puis du centre Analytika qui a mené à la demande de la municipalité une campagne de contre-expertise indépendante. Campagne qui a révélé des résultats bien plus inquiétants que ceux communiqués par la voie officielle.
Le réseau en place exerce un monopole administratif à l’intérieur duquel les inévitables conflits d’intérêts sont réglés dans la plus grande opacité. Sans qu’aucune place ne soit accordée ni au Ministère de la Santé, ni à des représentants scientifiques issus de la société civile. Les résultats qui seront publiés par ce réseau seront forcément rassurants pour la population. Il ne peut en être autrement compte tenu des incidences économiques et du poids du tissu industriel local en jeu. La santé des habitants de Frontignan restera la variable d’ajustement.
Le sous-préfet vous reproche de ne pas être expert auprès des tribunaux, pourquoi ?
L’expertise judiciaire n’est pas le métier du centre Analytika. Nous n’avons donc aucune raison de figurer dans la liste des experts judiciaires auprès des tribunaux. Cependant, les TGI
d’Aix-en-Provence et de Nice ont recouru à plusieurs reprises aux moyens analytiques et aux compétences scientifiques du centre, au titre de sapiteur* dans le domaine de la chimie
organique.
(*) Un sapiteur est un expert scientifique auquel les tribunaux font parfois appel pour résoudre certaines affaires dans lesquelles des compétences techniques spécifiques sont requises.
Vous faites un lien avec l’affaire Volkswagen et les dispositifs permettant de truquer les résultats des tests antipollution sur les moteurs diesel. Pourquoi ?
C’est précisément l’investigation menée par une petite équipe indépendante de l’université de West Virginia aux États-Unis qui a permis de révéler l’étendue de la fraude et de la possible complaisance des autorités américaines, puis européennes.
Cette vaste fraude industrielle est l’exemple récent le plus criant de la nécessité de repenser l’organisation et le fonctionnement des dispositifs actuels de surveillance de la pollution de l’environnement.
Largement inspiré par mon expérience professionnelle de 4 années aux États-Unis, je demeure convaincu que seule la mise en place d’un tel réseau privé de laboratoires indépendants permettra d’assurer à l’avenir un suivi honnête et transparent de la qualité de l’air en France.
Que pensez-vous de la décision européenne de prolonger la mise sur le marché du glyphosate ?
Cette affaire n’est que le dernier en date des exemples de l’influence néfaste des lobbies et du poids des conflits d’intérêts auxquels les administrations centralisées sont capables de se soumettre, au mépris de la santé publique et de l’intérêt général.
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