Le Dauphiné Libéré (Haute-Savoie)| Article d'Amélie Daviet
Passy | Hier, le préfet visitait l’usine de Chedde et rappelait les 4 millions d’euros investis dans la réduction des émissions de l’usine.
Le préfet l’a martelé, hier, on ne peut pas le taxer d’inactivité. « On refait le PPA et en même temps on agit sur de nombreux plans. Nous n’avons pas attendu la publication d’analyses ou les dépôts de plaintes », revendique Pierre Lambert. Toujours est-il pourtant que son activité de ces derniers jours, avec une prise de parole vendredi sous forme de réponse aux inquiétudes diverses et une visite de l’usine SGL Carbon, hier, découle du soudain coup de projecteur sur la pollution dans la vallée de l’Arve (lire nos éditions précédentes).
« On fait de mauvais procès à la vallée de l’Arve »
Le représentant de l’État avait convié sénateurs, députés et autres élus locaux à cette visite de l’usine de Chedde (Passy) « à l’origine de 12 ou 13 % de la pollution industrielle dans la vallée », énonce-t-il. Il a tenu à rappeler que « l’industrie est une chance », citant les 55.000 emplois qui y sont liés dans la vallée de l’Arve. « On fait de mauvais procès à une vallée dont la valeur internationale en matière d’industrie est reconnue. Et cela n’empêche pas les touristes de venir », continue--til, justifiant par là que « ce n’est pas la vallée de la mort ».
Épaulé par Anne-Laure Jorsin-Chazeau, et Yannick Mathieu, directrice départementale et directeur adjoint à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), Pierre Lambert a présenté « un plan ambitieux d’investissement » pour l’usine cheddoise habituée des doléances locales. Un plan qui s’inscrit dans la démarche non moins « ambitieuse, concertée et partenariale » du PPA2*.
Car la filiale de fond de vallée du groupe SGL Carbon (lire son historique par ailleurs) a investi 4 millions d’euros cette année pour se mettre au vert, aidée en cela à hauteur de 1,2M€ dont un million assuré par le conseil régional.
Abattement des émissions canalisées et diffuses
Ainsi, Serge Paget, directeur du site, s’attaque-t-il, à la demande du préfet, aux émissions canalisées et diffuses. « Il faut bien faire la différence entre les deux », demande le préfet. Les premières sont celles qui sortent des fours ou des cheminées. De 10 tonnes par an autrefois, les émissions canalisées de poussière sont aujourd’hui passées à 8,5 et devraient être réduites à 6 tonnes d’ici à janvier 2019. Un abattement de 40 % des diffusions qui va les faire tomber bien en dessous de ce qu’imposent les normes européennes. Pour cela, un dispositif de “traitement complet des rejets” des halls de graphitation (les plus producteurs de poussières) va être mis en place.
« En dehors des polluants des fours et des cheminées, un certain nombre filtre par les ouvertures diverses de ce bâtiment qui est très haut et ajouré. Jusqu’à la mi 2017, ces émissions diffuses n’étaient pas prises en compte », énonce le préfet. C’est désormais chose faite puisqu’une étude a été réalisée en 2017. Les postes d’émission les plus importants ont été identifiés et des actions adaptées sont mises en place.
« Nous constatons une “sévérisation” nette. Le site de Chedde est celui qui applique les normes les plus drastiques à l’échelle du groupe. Nous sommes largement en dessous des normes européennes », affirme Serge Paget qui précise que « le groupe veut à tout prix maintenir ce site opérationnel ». Quant à savoir si cela est suffisant pour garantir la santé de tous, alors même que l’OMS préconise des valeurs plus faibles, « ça va dans le bon sens », répond le préfet.
* Le plan de protection de l’atmosphère deuxième mouture est en cours de rédaction. Il a fait l’objet de 32 réunions, a rassemblé plus de 300 intervenants, sur huit groupes de travail.
Une usine vieille de 122 ans
Si l’usine de Chedde existe sous sa forme actuelle depuis les années 1960, son implantation remonte à bien plus loin. « C’est un site historique qui date de 1860 », rappelle ainsi Serge Paget, directeur de l’usine.
Le groupe SGL Carbon compte 19 sites dans cette branche d’activité répartis dans le monde entier, dont sept sites de production de matière, le reste s’occupant de transformation d’usinage. « Notre site est unique en ce qu’il s’occupe de production haut de gamme », poursuit Serge Paget.
Le cœur d’activité de l’usine cheddoise est le graphite qui, arrivé sous forme de barres ou de cylindres de sections et dimensions diverses, repart dans des réacteurs nucléaires, des batteries au lithium, du silicium à destination de panneaux solaires et différentes applications industrielles.
Dans les années 1960, « il y a eu une volonté politique à l’échelle nationale de développer la filière graphite, alors qu’on ne savait pas quelle direction prendrait notre production nucléaire », explique le directeur du site.
En termes de santé économique, le groupe semble donc à l’aise. Et se vante de n’avoir « aucune maladie professionnelle au sein de l’usine. » Reste une interrogation : une telle usine, dans une telle configuration géographique, est-elle judicieuse ? « SGL Carbon Chedde est présente depuis 122 ans, elle emploie 230 personnes, soit un total de 300 emplois directs et indirects et de gros investissements y ont été réalisés. L’usine réalise 65 millions d’euros de chiffre d’affaires pour un total d’environ 750 millions d’euros à l’échelle du groupe », répond Serge Paget.
Le préfet, quant à lui, énonce simplement : « Ça a un coût les fermetures. C’est une société moderne, sous des dehors vieillots, à haute valeur ajoutée.» On ne saura donc pas s’il aurait aujourd’hui été imaginable d’implanter un tel site au fond de la vallée de l’Arve mais ce qui est certain en revanche, c’est qu’il faut faire avec.
Les membres du Coll’air pur devront « répondre de leurs actes »
« Quelle légitimité ont-ils ? Un collectif ça peut être n’importe qui, ce n’est pas comme une association qui compte un président, un secrétaire, un trésorier », s’énerve le préfet, Pierre Lambert. En quelques mois d’existence, à peine, le Coll’air pur, dernier-né en matière de lutte contre la pollution au Pays du Mont-Blanc aura fait parler de lui et su s’attirer toutes les attentions. Pour le meilleur et pour le pire.
Après une première batterie d’analyses commandée au laboratoire Analytika et rendues publiques dans l’édition du Dauphiné Libéré du 14 janvier, le Coll’air pur a récidivé, avec de nouvelles données parues le 30 avril. Avant de signer, en s’associant avec « la grande ONG parisienne », comme l’a dit le préfet, Écologie sans frontière (ESF). Si ces derniers ont donc de la légitimité aux yeux de Pierre Lambert du fait de leurs actions passées (l’ONG est à l’origine du Grenelle de l’environnement), le Coll’air pur semble quant à lui relégué au statut poil à gratter. Désagréable et ingérable.
La semaine dernière, le petit collectif est parvenu à cristalliser les attentions environnementales de la France entière en annonçant avec ESF que 14 recours avaient ou allaient être déposés auprès du tribunal administratif de Grenoble pour “carence fautive” de l’État. Cela venait s’ajouter aux 540 plaintes contre X pour mise en danger de la vie d’autrui déjà comptabilisées. Et cela commençait à faire. « Ils répondront de leurs actes », annonce ainsi le préfet au sujet du collectif, moteur des plaintes et qui s’appuie sur les données du laboratoire Analytika que le préfet remet en question. « En France on a le droit d’expression à condition de ne pas porter atteinte à l’autorité », s’emporte pour finir Pierre Lambert.
« Je n’ai pas refusé de donner mes sources », se défend Bernard Tailliez d’Analytika
Dans notre édition du samedi 5 mai, nous rapportions les propos du préfet de la Haute-Savoie, Pierre Lambert, qui reprochait au fondateur et directeur scientifique du laboratoire indépendant Analytika, Bernard Tailliez, de ne pas avoir voulu communiquer ses sources pour ses analyses.
Pierre Lambert et Éric Fournier, président d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes ont par la suite déploré que le docteur refuse de les rencontrer. Et visiblement, Bernard Tailliez n’a pas la même version des faits. « J’ai reçu un mail et un appel, tous deux en date du 19 janvier », note le scientifique.
Le premier provenait d’Éric Fournier qui l’invitait à une réunion prévue le 25 janvier dernier, le second venait de Didier Chapuis, directeur territorial d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes. « Il souhaitait venir me rendre visite dans mon laboratoire », à Cuers (Var). « Je n’avais pas le temps de recevoir les fonctionnaires ni les moyens de me déplacer jusqu’à Sallanches », explique l’intéressé qui rappelle que « les services de l’État sont rémunérés pour ces réunions mais pas les scientifiques indépendants ».
Les seules demandes de rencontres auraient donc été faites immédiatement suite à la publication des premières analyses dans l’édition Mont-Blanc du Dauphiné Libéré du 14 janvier.
« Je ne suis pas à leur disposition », affirme Bernard Tailliez. Quant à « la source » évoquée par le préfet, Bernard Tailliez reste perplexe. « Si c’est cette visite qu’il entend par “la source”, alors oui, j’ai décliné », énonce-t-il, ne sachant trop ce que le préfet signifie par là. D’autant que, d’après nos informations, la commanditaire des analyses (qui pourrait répondre à la qualification de “source”) accepte de communiquer.
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